Du côté de la librairie... Octobre 2023

Plon­gée dans la Ve­nise du dé­but du 18^e siècle aux cô­tés d’Ila­ria qui, dès sa nais­sance, se voit confiée par sa fa­mille à la Pietà, un éta­blis­se­ment qui re­cueille les en­fants or­phe­lins ou aban­don­nés pour les vouer à des car­rières mu­si­cales. Le choix d’Ila­ria va très vite se por­ter sur le vio­lon, ins­tru­ment pour le­quel elle dé­mon­trera un vrai ta­lent pour l’im­pro­vi­sa­tion que son pro­fes­seur, An­to­nio Vi­valdi, se fera un plai­sir de culti­ver. Le grand feu, c’est ce­lui qui ha­bite Ila­ria, qui la brûle quand la mu­sique l’em­porte, qui la sub­merge quand elle dé­couvre l’amour, quand elle sort de ses murs, vi­vant avec une im­mense in­ten­sité ses mal­heurs comme ses joies. Un ro­man su­blime et émou­vant.

Franck Cour­tès a été un pho­to­graphe de re­nom pen­dant plus de 20 ans. Du jour au len­de­main, il rend son ap­pa­reil et plaque tout pour se consa­crer à l’écri­ture. A pied d’œuvre est le ré­cit de sa dé­cou­verte de la pau­vreté et de ses dé­buts mal­adroits en tant que ma­nœuvre à l’ère 2.0. Entre pré­ca­rité choi­sie et dé­clas­se­ment subi, l’au­teur in­ter­roge avec une fi­nesse tein­tée d’au­to­dé­ri­sion sa toute nou­velle do­ci­lité de « pauvre ».
Au fil des pages et des ex­pé­riences tour à tour gal­va­ni­santes ou frô­lant l’hu­mi­lia­tion, émerge une ques­tion, ja­mais adres­sée mais om­ni­pré­sente : que reste-t-il de l’iden­tité quand l’iden­tité so­ciale a dis­paru ?

Lau­réat du Prix lit­té­raire Le Monde 2023, Triste tigre est un texte ful­gu­rant et sans conces­sions sur un su­jet aussi ta­bou qu’om­ni­pré­sent au sein de la so­ciété : l’in­ceste. À la lu­mière de son his­toire per­son­nelle, Neige Sinno dis­sèque, avec une acuité in­ouïe et dé­nuée de tout pa­thos, ce que veut dire le viol, ce que veut dire être vio­lée. Au fil de ses ré­flexions et de l’ex­posé sin­cère de ses doutes, elle in­ter­roge le rap­port in­fi­ni­ment com­plexe entre son be­soin vis­cé­ral d’écrire et la pos­si­bi­lité, in­vrai­sem­blable et écœu­rante, d’être sau­vée par la lit­té­ra­ture. Re­mar­quable.

La vio­lence est au cœur de l’œuvre de Ca­ryl Fé­rey. Dans Okan­vango, il ne s’agit plus cette fois de la vio­lence per­pé­trée par les ré­gimes to­ta­li­taires ou pa­ra­mi­li­taires mais de celle com­mise sur la faune sau­vage. C’est en Na­mi­bie, au cœur de l’Afrique aus­trale, dans la ré­serve ani­ma­lière pri­vée ul­tra-sé­cu­ri­sée de Wild Bunch, qu’est re­trouvé le ca­davre d’un jeune pis­teur. So­lan­nah et Seth, deux ran­gers spé­cia­li­sés contre le bra­con­nage char­gés de l’en­quête de­vront com­po­ser avec l’énig­ma­tique et trouble pro­prié­taire des lieux John La­tham et af­fron­ter les sbires du Scor­pion. Vé­ri­table plai­doyer pour la sur­vie des ani­maux sau­vages, Ca­ryl Fé­rey évite par la com­plexité de ses per­son­nages l’écueil du ma­ni­chéisme. Plus qu’un po­li­cier, c’est un ro­man d’aven­ture tré­pi­dant mené tam­bour bat­tant.

Une pièce de théâtre brillante qui s’ins­pire du prin­cipe de phy­sique quan­tique se­lon le­quel une par­ti­cule al­lant d’un point A à un point B em­prunte si­mul­ta­né­ment tous les che­mins pos­sibles pour s’y rendre. Ainsi ex­por­tée à notre échelle, ima­gi­nez qu’à un mo­ment il y ait dans la vie d’un Homme un choix à faire entre deux des­ti­na­tions pos­sibles, et cha­cun de ces choix le mè­ne­rait à une vie com­plè­te­ment dif­fé­rente. C’est ce que Wa­jdi Moua­wad ima­gine pour Ta­lyani, en­fant fuyant son pays à l’aube d’un bom­bar­de­ment. Cinq des­ti­nées pa­ral­lèles se des­sinent alors et s’al­ternent pour don­ner corps à un ré­cit ab­so­lu­ment fas­ci­nant.

Avec ce nou­veau ro­man s’ouvre une nou­velle aven­ture dans le vaste monde de Pas­cale Qui­vi­ger. L’his­toire prend place dans la contrée dé­ser­tique de Se­lim, un em­pire aux pou­voirs par­ta­gés entre un Sul­tan cruel et la re­li­gion de la Déesse In­nom­mable. Hé­las, le scé­na­rio d’une apo­ca­lypse an­non­cée il y a des cen­taines d’an­nées se met en branle. Cha­cun va alors jouer ses meilleurs pions pour ten­ter de tier pro­fit de la si­tua­tion, ou du moins tâ­cher d’y mettre un terme avant la grande ca­tas­trophe. On sui­vra notre hé­ros, Ma­lek, qui se re­trouve pris au mi­lieu de tout cela bien mal­gré lui. Une aven­ture pal­pi­tante qui re­noue même avec cer­tains per­son­nages cha­ris­ma­tiques du Royaume de Pierre d’Angle, pour notre plus grand plai­sir. À par­tir de 14 ans.

Le pe­tit bon­homme gro­gnon du Livre le plus gé­nial que j’ai ja­mais lu est de re­tour pour le ré­gal des plus jeunes et des pa­rents. Tou­jours beau­coup d’hu­mour dans ce der­nier al­bum de Chris­tian Voltz, où ce der­nier de­vra écrire le livre le plus gé­nial pour les en­fants à par­tir des trois règles in­dis­pen­sables du bon­homme gro­gnon : uti­li­sez des mots simples, ne par­lez pas de su­jets graves et sur­tout ter­mi­nez par une Happy end ! Tout en s’adres­sant aux lec­teurs, l’his­toire se construit au fur et à me­sure de l’al­bum et di­vague au gré des re­com­man­da­tions du bon­homme gro­gnon. Un condensé d’ab­surde, de fan­tai­sie et d’im­per­ti­nence : on en re­de­mande ! À par­tir de 4 ans.