Du côté de la librairie... Septembre 2023

Construit sous forme d’une lettre d’aveux qui devient peu à peu une déclaration d’amour à un père discret mais aimant, Strange aborde les questions de la transidentité et du genre. Passionnée de chant depuis sa plus tendre enfance, Nora, née Raphaël, quitte sa petite ville et son père à la fin du lycée afin de rejoindre le Conservatoire de Bruxelles. Ce nouveau départ est l’occasion de remettre les compteurs à zéro et de démarrer sa transition, celle qui lui permettra enfin de donner corps à la femme qu’elle est vraiment. Entre retour en enfance, découverte de soi et premières opérations, Nora révèle tout à ce père qui n’a pas vu celle qu’il pense être son fils depuis des mois. Un texte d’une grande délicatesse, jamais dans la caricature ni dans l’excès, qui vous attrape par le cœur de la première à la dernière ligne.

Dans ce nouveau roman, Mathias Enard nous livre deux récits de vies qui avancent en parallèle. L’un, énigmatique, est celui d’un déserteur anonyme qui fuit une guerre inconnue vers la frontière, ainsi que sa propre violence. L’autre, celui de l’historienne des mathématiques Irina, fille de Maja et Paul Heudebert, éminent mathématicien Allemand, survivant des camps de travail de la seconde guerre mondiale. Comme dans un journal intime, elle enquête sur la vie de ses parents dont le passé a été effacé et découvre leur touchante histoire d’amour. Deux quêtes de soi tenues par une plume magnifique.

1934. Belle-Île-en-Mer, 56 mineurs s’échappent de la colonie pénitentiaire de Haute-Boulogne pour fuir la brutalité des soi-disant moniteurs du centre. Pour la promesse d’une pièce de 20 francs, les habitants de l’île ainsi que les touristes organisent une véritable traque pour ramener les fugitifs. Mais au petit matin, un évadé manque à l’appel. Jules Bonneau, dit « la teigne » réussit l’impossible. Partant d’une histoire vraie, Sorj Chalandon livre une nouvelle fois un roman passionnant sur l’enfance brisée et la difficulté de saisir la main tendue quand on n’a connu que la violence et brosse le portrait émouvant des personnes de l’ombre qui œuvrent au quotidien pour plus de justice. Captivant et terriblement révoltant.

Vincent Delecroix revient avec Naufrage sur le drame du 24 novembre 2021, qui a coûté la vie à 27 personnes exilées dans la Manche. La narratrice n’est autre que l’opératrice téléphonique qui a été contactée par les naufragés pendant qu’ils sombraient, et qui ne leur est pas venue en aide. Mêlant fiction ancrée dans la réalité et questionnement philosophique, ce texte glaçant explore les ressorts complexes de la responsabilité collective. L’auteur y file la métaphore du naufrage pour nous mettre face à l’indifférence inouïe qui nous permet à toutes et tous de continuer à nous maintenir à flots pendant que les autres se noient. Car le naufrage dont il est question n’est pas celui de 27 vies mais de l’humanité même. Une vraie claque.

Amine, grand pianiste reconnu, revient à Trappes dans sa ville natale après 22 ans d’absence pour l’enterrement de son père. Un immense fossé s’était creusé entre eux, suite de non-dits et d’incompréhensions les menant alors jusqu’au silence. En vidant la maison, il découvre l’existence de K7 enregistrées par son père à destination de son propre père resté au Maroc retraçant année après année sa vie en France. En quête de sens, Amine part sur les routes pour recueillir la voix de son père au travers de ceux qui l’ont connu. Le début d’une plongée dans le monde du travail éprouvant fait de labeurs et de mépris débutant des fosses de charbons des mines du Nord, aux usines d’Aubervilliers et de Besançon pour finir par les camps de harkis et le maraichage en Camargue. Derrière ce père taiseux, il découvre alors un homme engagé, un ami fidèle et un amoureux empêché par le poids des traditions dévoué au bonheur de ses enfants. Un roman terriblement touchant et émouvant.

Avec ce nouveau roman très court et tout en retenue, François Bégaudeau se lance le défi de nous raconter « l’amour tel qu’il est vécu la plupart du temps ». Un amour ordinaire, un presque hasard, sans grandes effusions ni drames. En 90 pages, près de 50 années défilent et nous dressent le portrait de Jeanne et Jacques, les Moreau, de leur petite ville de la Loire et ses troquets, des années 70 à nos jours. On ressort de cette lecture comme on ressortirait d’un nuage : le cœur en suspension et un sourire aux lèvres, bercé par une simplicité qui n’a rien à envier aux passions les plus fougueuses.

Un roman très marquant, qui retrace de manière fidèle à l’Histoire la conquête de la Floride par le conquistador Hernando de Soto et son armée au milieu du 16^e siècle. Ce personnage est antipathique, sa cruauté et sa bêtise dépassent l’imagination et chacun de ses pas dans la boue, chacune de ses humiliations ou défaites seront une jouissance pour le lecteur. Cette aventure est entrecoupée tout au long du livre par les contes Cherokees de la Création du monde et celui très mystérieux de l’Enfant Sauvage, qui permettent de respirer et de rendre ce voyage aussi impitoyable que fascinant. Magnifique.