Du côté de la librairie... Février 2024

Avec ce personnage farfelu de Bart, qui décide après un licenciement de son employeur Pôle Emploi de disparaître en vivant clandestinement dans le palais de justice de Paris, Joy Sorman nous plonge dans les méandres de la justice française. Arpentant les salles d’audiences du matin au soir, Bart assiste au spectacle de la justice avec ses différents comédiens, prévenus, avocats, juges, procureurs, greffiers… aux différentes pièces, comparutions immédiates expéditives qui s’enchaînent par manque de temps et de moyens, affaires au pénal ou au correctionnel qui ne s’avèrent pas moins déshumanisées. Notre témoin désespère au fur à mesure du systématisme des verdicts, des peines encourues qui répondent au besoin du maintien de l’ordre social et qui laissent peu de place à la réinsertion. Un état des lieux sans concession de notre justice française. Passionnant.

Avec Le rêve du pêcheur, Hemley Boum esquisse un sublime éloge des liens familiaux, porté par un souffle romanesque qui brave les époques et les tempêtes. On y suit Zacharias et Zack, séparés par deux générations, mais mus par le même désir d’échapper à leur destin. L’un est un modeste pêcheur, père de famille et mari aimant dans un village du Cameroun des années 70. L’autre, son petit-fils, a fui le Cameroun à 18 ans et tente de repartir à zéro en France en faisant fi de son passé. À travers l’histoire, savamment entremêlée, de deux hommes qui se noient dans des eaux tant métaphoriques que réelles, l’autrice nous offre une fresque poétique et lumineuse sur les méandres de la transmission.

Un roman d’anticipation aussi noir que beau, dans un futur proche où le monde n’en finit plus de se défaire. On y suit trois générations de mères et de filles, sur les cent prochaines années. De sa plume maîtrisée, oscillant entre un profond désespoir et des moments de cruelle beauté, Hervé Le Corre nous dépeint l’évolution que pourrait suivre notre monde s’il n’anticipe et ne prévient pas les conséquences du réchauffement climatique, causant l’effondrement de l’humanité telle qu’on la connaît. Les personnages sont touchants, tantôt mus par instinct de survie, par l’espoir de trouver havre de paix quelque part ou par vengeance. Ils seront mis à rude épreuve, compagnons de route malmenés par une époque où il ne fait plus bon vivre et où règne la loi du plus fort, et bien souvent du plus impitoyable. Magistral.

Plongez dans l’univers drôle et attachant de Julia Wertz, avec Les imbuvables, bande dessinée autobiographique sur les addictions et la guérison. Vous y découvrirez le parcours du combattant de Julia vers la sobriété, le récit rocambolesque et touchant de sa vie intime, ses questionnements, et son quotidien de jeune trentenaire new yorkaise en proie à des démons coriaces. Derrière les plans foireux et l’humour cru émerge au fil des pages un texte sensible, profondément sincère et introspectif, sur la vie et les chemins qui s’offrent à nous.

Après Gazer, mutiler, soumettre paru en 2020, l’économiste Paul Rocher poursuit son analyse acérée des forces de l’ordre avec une nouvelle étude d’envergure. En passant au peigne fin plus de 30 ans de statistiques sur les budgets et effectifs alloués à la police, ainsi que de nombreux travaux de recherche, il déconstruit le mythe d’une institution policière imparfaite mais nécessaire au service de toute la société. Bien au contraire, il révèle sa nature profondément violente et inefficace et son rôle dans le maintien de l’ordre établi, au service d’un Etat sécuritaire et autoritaire. 

Rebis est un roman graphique aux dessins magnifiques qui aborde la question de la différence au Moyen-âge, période reine de l’obscurantisme religieux. Martino a le malheur de naître albinos et devra affronter dès son plus jeune âge le rejet de son père et des enfants du village. Il trouvera du répit et du réconfort auprès de Viviana, une soi-disant sorcière condamnée à vivre dans la forêt. À ses côtés, il découvrira une communauté prête à l’accueillir tel qu’il est, tout en lui permettant de devenir Rebis. Un brillant one-shot pour ados où la différence se révèle une force. 

Jean-Blaise est chat qui se prend pour un oiseau, il vit chez le docteur Gruffi, psychiatre de renom établi dans la ville de Comonveut. Un beau jour, alors qu’il se rend à ses cours de chant hebdomadaires, il va faire une rencontre inattendue qui va bouleverser sa vie, celle de Tsubasa, un magnifique poisson rouge. C’est l’amour fou au premier regard : tous deux transportés ils se donnent rendez-vous le soir même pour un dîner aux chandelles. C’est ainsi que commence leur histoire. Mais Jean-Blaise se retrouve vite assailli de doutes : un chat peut-il vraiment aimer un poisson ? Et n’est-il pas censé détester l’eau ? Un album au dessin original et à l’humour décalé, qui prouve que oui, au nom de l’amour, tout est possible. Excellent !